« Je veux m’échapper », dit-elle. Je ne veux plus jamais revenir dans cet endroit, ni sur mes pas. Je ne veux plus. Je veux pouvoir m’échapper pour la vie. Je veux pouvoir partir. Je veux toujours pouvoir partir. Je ne veux pas rester au même endroit. Je ne supporte plus d’être dans cet endroit confiné, je ne supporte plus cet espace dans lequel je suis enfermée. Je ne peux plus. Je veux sortir, en finir, m’échapper une fois pour toutes. La souffrance ressentie est trop intense, je n’en peux plus. Voilà, je n’en peux plus. Je veux partir, ou bien mourir, peu importe. Je ne veux plus étouffer comme ça. Je ne veux plus que l’oppression me prenne ainsi à la gorge. Je ne veux plus qu’elle me saute au visage ou à l’estomac au moment où je m’y attends le moins. Je ne veux plus. Je veux sortir, pouvoir courir, mais je sais que ça ne change rien. Je veux juste partir, m’en aller, ne plus jamais revenir ici. Je veux partir, voilà, partir. Partir est le seul mot que j’ai réellement en bouche. Ce que je veux est fuir le malheur d’être née. Je ne veux plus entendre parler de rien. Je ne veux plus. Je ne peux plus. Je ne supporte plus.

Ne reste alors que l’envie de mourir, à défaut de pouvoir ouvrir la porte et d’autres horizons où la douleur aiguë qui lui tenaille les entrailles la laisserait finalement en paix. Parce que ce qu’elle voulait, c’était juste la paix. Par tous les moyens la paix. Comme si la bataille avait été trop rude. Comme si les mots avaient transpercé la chair la laissant démunie.

Qu’on arrête donc de me parler, de m’agresser, de me mettre en colère, de me fragiliser. Qu’on arrête d’utiliser la parole à mon encontre. Que l’on arrête de me détruire en détruisant mes mots. En les vidant de tout contenu, en les attaquant. Je suis venue avec mes mots et vous les agressez jusqu’à la chair. En me reprochant de les attaquer moi-même. Mouvement attaque-défense en miroir et épuisement. Qu’on arrête de me dire, constamment, que quoique je dise, je n’ai aucune valeur. Qu’on arrête de me dire que, quoi que je dise, ce que je dis n’a aucun sens ni aucune valeur. Qu’on cesse de me dévaloriser et pour tout dire, de me dénigrer intrinsèquement pour ce que je suis. Je n’en peux plus. Ça ne marche plus. Je ne veux plus que ça marche, mais ça marche toujours. Ça continue à marcher et je me sens toujours particulièrement coupable et sans valeur. A terre. Anéantie par un irréfragable sentiment d’inexistence. Honteuse de vivre et d’être ce que je suis, quoi que je sois. Pas d’issue, aucune sortie possible. Je veux la paix ne plus souffrir de ça, ne plus souffrir de moi-même je veux la paix ou bien me tuer ou qu’on me tue. La paix.

**

Toujours, dirait-on, quelque chose menaçait de se rompre. Comme s’il lui fallait toujours quitter quelqu’un ou quelque chose pour s’autoriser à avancer. Impossible stabilité. Peur de l’engoncement, de l’enkystement, de la répétition, de la condamnation. On dirait que pour exister, il lui fallait toujours briser les liens qui la retenaient ou l’attachaient. Que pour exister, elle avait toujours besoin de ruer dans les brancards quelque part et de se détacher. Il fallait toujours qu’elle se détache, toujours qu’elle soit sur le point de partir, toujours qu’elle soit en instance…on dirait qu’à l’intérieur d’elle-même, quelque chose de l’ordre du très intime s’était trouvé touché, ou affecté, ou bien blessé, et que survivre à la blessure impliquait à tout moment qu’elle soit en mesure de se désolidariser d’elle-même, de se quitter elle-même…Pour être rassurée être en mesure de se quitter…à tout instant.

Instant, d’extrême fragilité. Qui la déposent au bord du vide avant de la laisser revenir à elle-même. Comme une folie qui la menace. Comme la menace d’une folie qui la guetterait, en permanence, et à laquelle il lui faudrait toujours se soustraire…risquant ainsi différentes formes de violences. Pour se déprendre. Comme si l’urgence à tout instant était de se défaire, de se déprendre de soi-même. Quelque chose d’encore si peu connu d’elle-même qui la pousserait à l’intérieur d’elle-même à se déprendre d’elle-même et des autres. Malgré elle. Lutte éprouvante. Vengeance interne. Intériorisation d’une violence non nommée, essentiellement destructrice. A chaque fois il s’agit de retrouver le sens, la direction, dans ce processus de désorientation enclenchée. Comment y échapper, précisément lorsque tout semble lui échapper ? Qu’il ne semble y avoir d’autre échappatoire pour échapper à l’angoisse que d’échapper à elle-même ? Lutte constante entre soi et soi pour ne pas disparaître, pour apparaître, pour disparaître. Lutte constante seulement plus ou moins forte. Lutte constante à l’intérieur de soi, dans l’oubli de ce qui est soi-même. Point focal où toutes les violences semblent pouvoir à un moment donné se réunir. Jusqu’à explosion interne, déchirure intérieure, laissant percevoir la béance. Il y a des jours où certes elle flanche. Des jours où elle ne peut même plus mettre un pied devant l’autre. Où elle se demande comment font les autres pour se tenir debout et faire ce qu’ils ont à faire. Où elle se demande comment vivre, comment continuer à vivre lorsque l’espoir devient plus flou, plus incertain. Comment cesser d’échapper à elle-même, continûment.

L.B septembre 2012

Ligne de faille (nouvelle)

Partager cet article