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Louise, l'atelier(suite)
24 janvier 2013

La scie (Récit)

 

République, un jeudi en tout début d’après-midi. Du monde sur le quai du métro car le métro se fait attendre. Un son étrange, bizarre, strident, tout sauf mélodique, difficilement identifiable. Par réflexe ou intrigués, les gens cherchent du regard d’où proviennent les « bruits » ? La « musique » ?

Moi aussi. Je regarde, à droite, à gauche. C’est d’ailleurs plutôt de là que ça vient. Ça ressemble un peu à quelqu’un qui voudrait jouer d’un instrument mais ne sait pas. Ou à quelqu’un qui n’entendrait pas ce qu’il joue mais jouerait quand même, pour le plaisir du geste et des vibrations par exemple. Voilà, ça ressemble à quelqu’un qui joue « quand même » d’un instrument alors qu’il ne sait peut-être pas en jouer et ne se rend pas tout à fait compte que le bruit est strident, que ça sonne faux, que ça fait même un peu mal aux oreilles parce que ça ne ressemble pas à grand-chose et que ça « use », que ça fait un peu « scie ». Oui, ça dérange. Mais de quoi exactement ? Parce que dans le métro, il y a forcément des bruits dans tous les sens. Mais là, ça s’entend. Ça s’entend même drôlement bien parce que c’est assez aigu, et répétitif. Ça ressemble un peu à une plainte, peut-être, à quelque chose comme ça. Pas un jeu, non.

La femme est assise par terre, adossée contre le mur et recouverte de pas mal de tissus rouges. Elle a les cheveux blancs et paraît assez âgée. Elle regarde droit devant elle et tient dans les mains ce qui ressemble à une petite guitare ou un violon, mais elle le tient plutôt comme un violoncelle, verticalement, le bas calé entre les jambes. De sa main droite, elle gratte l’archet sur les cordes exactement comme si elle était musicienne, savait jouer de cet instrument, mais on sent aussi de la colère dans la manière qu’elle a de faire. Elle ne sait manifestement pas se servir de ce l’archet et ça fait vraiment un bruit de scie. L’image est assez étrange et les gens ne peuvent pas s’empêcher de regarder, un peu gênés. Et c’est vrai qu’on dirait qu’elle joue « quand même ». Peut-être juste pour ne pas mourir.

Moi aussi, je suis gênée, de me sentir si impuissante face à cette plainte, à cette musique qui résonne comme un appel au secours, un cri d’alarme, face au geste inattendu de cette femme.

Et le métro arrive. Je monte. Les gens montent. Le métro part, et la drôle de musique continue à résonner.

Aujourd’hui à République.

L.B

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